23. D’un monde à l’autre

Le premier jour de septembre, un visage souriant et familier apparut sous la tonnelle de bignone. Ce gars là prenait trois ou quatre fois la place de ses visiteurs habituels.

Le corps d’Alice se figea en plein mouvement. Helen et Bonnie levèrent la tête.

– T’es qui ? demanda Helen, un peu contrariée qu’un inconnu vienne interrompre leur dessin.

– Moi, c’est Paul. Et toi ?

– Helen, répondit la fillette. J’habite là. Elle lui montra sa maison.

Alice vit l’éclair de compréhension frapper le visage de Paul.

– C’est vrai ? Et ça te plaît ? lui demanda-t-il.

– On aime bien venir voir Alice.

Paul rit, et la fillette, surprise, fut ravie de son effet.

– Moi aussi, dit il.

– Elle, c’est Bonnie.

– Bonjour, Bonnie.

Bonnie continua à barbouiller sa feuille de bleu pour faire la mer.

– C’est ma sœur.

– Tu en as, de la chance !

– On connaît un passage secret, lâcha Helen. Puis elle regarda Alice, craignant d’en avoir trop dit.

– C’est bon, la rassura celle-ci. Il est au courant.

 

Paul, assis à la table en bois de la terrasse, suivit des yeux les deux petites têtes blondes qui disparaissaient dans les roseaux. Il avait du mal à regarder Alice, face à lui, les pieds sur sa chaise, les bras autour des genoux, dans son short en jean préféré et un teeshirt blanc qui avait dû être à lui. Elle avait repris des couleurs. Le soleil teintait sa peau d’un caramel qui n’appartenait qu’à elle, faisait ressortir ses taches de rousseur, illuminait ses cheveux d’éclairs roux, faisait scintiller dans ses yeux verts des étincelles d’or. Autant de promesses d’épanouissement qui la rendaient éblouissante. « Et elle ne le sait même pas », songea-t-il. Elle n’en avait aucune conscience. Ça se voyait à sa façon de se tenir. Ça se voyait à ses ongles mal soignés.

Il aurait pu se laisser envahir par le sentiment familier qui s’ouvrait devant lui comme un couloir, l’invitant à l’emprunter. Il aurait pu lui en vouloir d’être aussi belle. Il aurait pu se sentir de nouveau menacé par elle. Par le fait qu’elle avait déjà gagné l’adoration de deux petites filles qui vivaient maintenant chez lui. Le parcours qu’il avait suivi n’avait rien d’original. Qui pouvait vivre à côté d’Alice sans tomber amoureux d’elle ? Et elle, pour qui il était si facile de se faire aimer, avait-elle vraiment besoin de son amour à lui ? Que pouvait elle en faire ? Qu’avait-il à offrir ?

Il connaissait bien cette envie de la rabaisser. D’exiger d’elle des choses qu’il ne savait pas donner. Mais il ne laisserait pas cette envie l’emporter. Autant se lever et retourner prendre le ferry pour ne plus jamais la revoir. Il était revenu une fois. Et une seconde. Il ne méritait pas une nouvelle chance. Il s’était promis qu’il ne s’autoriserait à la revoir que s’il était capable de l’aimer mieux.

Il devait lui faire confiance. Avec les dons qu’elle possédait, elle aurait pu prendre à la vie ce qu’elle voulait. Elle aurait pu l’exiger. Mais elle ne prenait pas ; elle donnait. Même si elle avait conscience de ses pouvoirs, elle les utiliserait à bonne fin. Il devait lui faire confiance.

Et, le plus dur, il devait avoir confiance en leur amour. Ce n’était pas tant un défi pour elle, si douée pour aimer et être aimée, que pour lui, qui avait tant de mal à faire l’un et l’autre.

– Tu restes jusqu’à demain ? demanda-t-elle.

– Je ne sais pas.

Il ne voulait pas l’effrayer.

– Je vais peut-être loger chez les Cooley ou les Lœb. J’ai fait la traversée avec Frank. Ils doivent avoir des chambres libres, maintenant que les enfants sont partis. Il a du poil qui pousse dans les oreilles, tu as vu ?

Elle rit. Puis le silence s’installa.

– Tu veux faire une promenade avec moi ? proposa-t-il. Une longue balade fatigante, en plein cagnard ?

Elle sourit en acquiesçant. Il vit qu’elle s’apprêtait à poser une question.

– Pourquoi es-tu venu ?

Il testa plusieurs réponses. « J’avais quelques affaires à régler pour la maison. » « Tom Cooley me harcèle pour que je participe au tournoi de baseball. » « Je n’avais rien de mieux à faire et il faisait beau. »

– Pour te voir.

  

Alice tourna la tête pour regarder Paul, qui marchait à côté d’elle. Il se tenait un peu plus droit qu’avant. Il s’était enfin fait couper les cheveux. Chez un vrai coiffeur. Il ressemblait à un adulte normal. À un homme. Il avait beau avoir les mêmes yeux très sombres et la même mâchoire que son père, il ne ressemblait pas du tout à Robbie tel qu’elle l’avait vu sur les photos.

Elle essayait de comprendre son état d’esprit. Etait il en colère ? Voulait il lui demander pardon ou au contraire lui pardonner ? À moins qu’il ne s’agisse d’une sorte d’autopsie ? Passerait elle sa vie entière à ruminer ce qu’ils se diraient aujourd’hui, en sachant que c’était l’épisode final ?

Quand il la regardait, il y avait quelque chose derrière son regard. Une sorte de question, vacillante comme une flamme. Qui venait puis repartait. Il avait une question à lui poser, mais il n’y arrivait pas.

– Un jour, il y a un an, je suis venu te chercher, et tu étais partie, dit il enfin.

Alice acquiesça. Elle avait une autre raison de s’en souvenir.

– Je t’ai attendue chez toi. Je suis allé chez les Cohen voir si tu travaillais. J’ai essayé le yachtclub, le court de tennis, la plage. Je ne vous ai pas trouvées, ni toi ni Riley. J’ai passé des heures assis dans ta cuisine. A attendre.

Elle savait ce que c’était que d’attendre. Auparavant, c’était elle qui attendait, jamais lui.

– C’est là que je t’ai trouvé en rentrant, confirma-t-elle.

Il hocha la tête.

– Tu sais où j’étais ? demanda-t-elle.

Quelque part, la responsabilité d’avoir un secret à garder continuait à la terrifier.

– Je crois. Maintenant, oui.

– Riley ne voulait pas que tu sois au courant. Je ne pouvais pas te le dire.

– Je sais.

Toute la compassion qu’elle avait comprimée, enfermée, contenue pendant des mois commença à s’exprimer. De la compassion pour lui, qui avait été exclu sans une explication. De la compassion pour eux deux, parce qu’ils s’aimaient. Et le plus compliqué peut-être, de la compassion pour elle-même, pour une année d’épreuves, de perte et d’expiation. Elle avait cru qu’elle pourrait aider. Elle avait cru qu’elle pourrait apaiser. Et elle s’était trompée.

Ils longèrent Lonelyville, dépassèrent les cabanons et les bungalows construits de guingois. De toutes les villes, celle-là semblait ne jamais changer.

Il tendit la main pour prendre la sienne. C’était tellement étrange, de le toucher. Ça évoquait des milliers d’autres fois, chacune avec une signification différente.

– Nous ne sommes pas responsables de sa maladie, dit il. Je sais que c’est l’impression que ça peut donner, mais ce n’est pas le cas.

Instinctivement, elle serra sa main plus fort. Les yeux brouillés de larmes, elle ne voyait même plus où elle allait. Elle déglutit et essaya de parler :

– C’est l’impression que ça donnait.

– Je sais, Alice.

Il se tourna face à elle pour lui prendre l’autre main. Il la fit asseoir sur le sable et l’entoura de ses bras en lui tapotant le dos. Il écarta les cheveux de son visage pour essuyer ses larmes, comme à un enfant. Réconfortée par ce corps qui l’enveloppait, elle se laissa aller, émue qu’il laisse de côté son chagrin, pour écouter le sien.

– C’est comme si on l’avait abandonnée. On l’a trahie.

Elle le sentit qui hochait la tête.

– Je sais.

– Et on a été punis pour ça.

Paul hocha de nouveau la tête, et les poils de son menton s’accrochèrent dans les cheveux d’Alice. Il y eut un long silence. On n’entendait que le bruit des vagues et les cris de quelques nageurs.

– Qui nous a punis, d’après toi ? demanda-t-il lentement. Riley ?

Alice se redressa, l’obligeant à déplacer sa tête.

– Non, non. Pas elle.

– Comment tu le sais ? demanda-t-il, pensif.

– Parce qu’elle nous aimait. Ça lui faisait peur, elle me l’a avoué une fois. Mais elle m’a dit qu’elle l’avait toujours su.

– Alors, qui a voulu nous punir ?

Alice coinça ses cheveux derrière ses oreilles.

– Je ne sais pas, Dieu. Le destin. Moi. Peut être qu’on s’est punis nous-mêmes.

Ils restèrent assis un moment sur la plage, à regarder l’eau. Elle appuya son épaule contre la sienne. Un chien passa devant eux, puis une ambulance tout-terrain. Elle pensa à Riley, qui injuriait les voitures qui roulaient sur la plage. On ne pouvait pas franchement injurier une ambulance.

Paul se leva et lui tendit la main pour l’aider.

– On a le droit de grandir, dit il.

  

Ils reprirent leur promenade, mais Alice n’ouvrit plus la bouche jusqu’à ce qu’ils aient dépassé l’embarcadère d’Océan Beach. Là, de toutes les choses qu’elle avait à lui dire, celle qui sortit la surprit elle-même.

– Combien de fois me suis je répété cet été : « Je sais que je me retiens. Que j’attends. Que j’ai peur d’avancer. Parce que je ne sais pas quel chemin prendre. »

II ne répondit pas, et elle poursuivit :

– Quelquefois je vois ça comme une montagne escarpée entre deux vallées. Ou comme un détroit périlleux entre deux terres. J’ai peur de le traverser, mais aussi de ne pas pouvoir revenir.

Peur de me retourner et de voir que la montagne est recouverte de nuages. Ou que les eaux ont monté, m’empêchant de rentrer à la maison.

Paul hocha la tête. Il lui reprit la main, et ça lui fit du bien.

– Mais ce n’est même pas ce qui me fait le plus peur.

Il lui sourit, d’un drôle de sourire sans joie, mais plein d’affection.

– Qu’est ce qui te fait le plus peur ?

– Ce serait de ne plus vouloir rentrer.

  

– Tu sais qu’on a mis la maison en vente ? lui annonça-t-elle peu après avoir dépassé Seaview.

Elle n’était pas très pressée de le lui annoncer. Il la regarda avec une expression incrédule.

– Votre maison ? Ici ?

– Oui. Je suis censée m’en occuper, la faire visiter et conclure la vente, mais c’est lent. En un mois, je n’ai vu qu’une personne intéressée, et elle est repartie sans même être montée voir l’étage. Elle a demandé s’il était possible d’abattre la maison pour en construire une plus grande.

Paul avait l’air chiffonné.

– Je ne comprends pas pourquoi tes parents la vendent.

– Humhum ! fit elle en inclinant la tête. Tu as bien vendu la tienne.

– Mais la vôtre, c’est différent. Elle a une vraie valeur.

– Va le dire à l’agent immobilier, répliqua Alice.

– Les agents immobiliers ne connaissent pas la valeur des choses.

Alice marchait en traînant les pieds, traçant sur le sable une longue empreinte ininterrompue.

– C’est sérieux ? demanda Paul.

– Mes parents ne veulent pas revenir ici sans Riley, expliqua Alice. Ça se comprend.

– Mais c’était sa vie, cette maison. En la gardant, vous garderiez un peu de Riley, non ?

Alice pensa aux jours et aux nuits qu’elle avait passés ici. L’absence de sa sœur se faisait cruellement sentir, mais sa présence encore plus.

– C’est aussi ce que je pense, admit elle avec un haussement d’épaules. Mais tu parles d’un choix : soit tu te drapes dans ta douleur, soit tu l’évites et elle te tombe dessus au moment où tu t’y attends le moins.

– Il n’y a pas d’autre alternative ?

– Tu en vois une ?

          – Aller de l’avant ?

Alice réfléchit à cette hypothèse tandis qu’ils passaient devant Océan Bay Park. Elle réalisa qu’elle n’y était jamais entrée. Elle s’était toujours contentée de passer devant.

– Bref, la femme qui l’a visitée a fait une offre de démolition, comme elle appelle ça, et mes parents ont refusé. Ils ne voudraient pas qu’elle soit démolie, mais l’agent dit qu’on n’y peut rien. Elle dit que de toute façon, quel que soit l’acheteur, il voudra certainement démolir.

Paul secoua la tête.

– Tous les ans, quand on revient, il y a des maisons en moins.

– Pour un peu, je serais contente que Riley ne soit pas là pour voir ça, dit Alice.

  

Sur la plage de Point O^ood, Paul se souvint d’une anecdote.

– Mon père était ami avec un type qui avait perdu sa jambe dans un accident de moto. Un jour, quand j’étais petit – je devais avoir dans les quatre ans, parce que mon père était toujours en vie –, il est venu chez nous ici à Fire Island, et pendant que mes parents étaient dans la pièce d’à côté, il m’a montré l’endroit où le chirurgien lui avait coupé la jambe.

– La vache. Pourquoi il a fait ça ? s’étonna Alice.

– Bah ! il ne devait pas avoir beaucoup de plomb dans la cervelle.

– C’est le moins qu’on puisse dire,

          – Après, ça m’a obsédé. Pendant des années, avant de m’endormir, dans mon lit, j’angoissais en me disant qu’un jour, j’aurais une moto et qu’il m’arriverait un accident.

– Je ne savais pas.

– Je détestais les motos. J’ai dit à ma mère que je n’en aurais jamais. Et elle m’a répondu : « On ne peut jamais savoir ce dont on aura envie quand on sera grand. » Après, le truc qui me faisait le plus peur, ce n’était pas tant la moto que de devenir quelqu’un qui en voudrait une. J’étais terrorisé à l’idée de devenir quelqu’un de totalement différent, quelqu’un d’étranger à moi-même.

– Mm ! je comprends.

– Alors, vers neuf ans, je me suis écrit une lettre. Je l’ai retrouvée en vidant la maison au mois de mai, avec plein d’autres trucs.

Il jubila devant son air amusé.

– Elle disait quoi ?

– Je m’adressais à mon futur moi en disant : « Même si tu as super envie d’en avoir une, surtout, n’achète pas de moto ! » Après, j’avais écrit en gros : « RAPPELLETOI LA JAMBE D’HEN DERSON. »

Elle réfléchit.

– Tu as déjà eu envie de t’acheter une moto ?

          – Jamais.

– Je reprends les cours à la rentrée, annonça Alice sur la route de sable qui menait à Sunken Forest.

Ah bon ?

II essaya de garder un visage neutre. Il s’était déjà sermonné sur le sujet. L’aimer, ça voulait dire, entre autres, mettre de côté ses préjugés et ses opinions, et la laisser devenir avocate si ça lui plaisait.

– Oui. C’est Riley qui m’a décidée. Il rit.

– Sans blague ?

– Elle m’a surprise en train de bosser au Duane Reade de la 11e Avenue. Elle m’a fait remarquer que j’étais censée être l’intello de la famille. Elle était furax.

– Bah ! justement, les études de droit, c’est plutôt pour les intellos, dit il d’un ton qu’il voulait enthousiaste.

– Je ne vais pas en fac de droit. Non ?

– Non, je me suis inscrite à l’Institut de formation des travailleurs sociaux. Ils ont été sympas, ils m’ont acceptée en retard. J’ai reçu la réponse début août.

– Waouh ! tu m’épates. Eh bien, félicitations. De même qu’il avait essayé de garder pour lui son opinion sur la fac de droit, il ne s’autorisa pas à montrer la joie que lui causait cette décision.

– On se faisait confiance à nous-mêmes, quand on était petits, non ? observa Alice, quelque part entre Sunken Forest et Sailor’s Haven.

– Riley, oui. Nous aussi, à un degré moindre.

– On avait confiance en Riley. Voilà.

– Mais on n’avait pas confiance en l’âge adulte. On ne voulait pas se faire avoir.

Paul réfléchit.

– Les adultes qu’on avait autour de nous n’avaient pas de quoi faire envie. Ils nous montraient tellement d’exemples à ne pas suivre que c’était dur d’entrevoir d’autres possibilités.

Elle chercha dans son visage des traces d’amertume, mais n’en trouva pas.

          – Je suis au courant pour Ethan et Lia, fit elle.

– Ouais. Riley m’a dit.

Elle continua à marcher en silence, sentant le soleil lui chauffer le cou, le sable humide s’enfoncer sous ses pas, les muscles de ses mollets tirailler. Soudain elle eut une idée qui lui plut.

– Tu sais ce que je pense ?

– Non. (Il serra sa main dans la sienne.) Peut-être.

– À mon avis, Riley savait qu’on devait faire notre chemin ensemble, et qu’on s’en sortirait.

– Je vois la lune, dit Alice quand ils parvinrent à Talisman, juste avant Water Island.

C’est là qu’ils avaient décidé de faire demi-tour vers l’ouest.

– Je trouve qu’on devrait continuer, dit Paul. On devrait marcher jusqu’à demain.

Le soleil commençait à descendre sur la baie, offrant un modeste spectacle. Ce n’était pas un soir pour frimer.

– On n’a même pas d’eau, objecta Alice.

Il faisait chaud. La sueur lui coulait dans le cou et dans le dos.

– Exact. Mais j’ai mon portefeuille… C’était un signe qui ne trompait pas. Seuls les touristes de passage avaient leur portefeuille sur eux.

– Alors on peut en acheter à Cherry Grove.

Ils firent mieux que ça. Ils burent deux Martini chacun et assistèrent à un spectacle de travestis au Ice Palace, avec la participation exceptionnelle de monsieur Cuir Fire Island.

– Cette année, on est très crocs et morsures, leur précisa le barman. C’est le dernier fétichisme à la mode.

– Quand on parle de Fire Island, les gens pensent tout de suite qu’on est gay, observa Paul quand ils eurent regagné la plage.

– S’ils savaient ! fit Alice.

Ils étaient encore à onze kilomètres de la maison, le sable était doux, la lune avait le ciel pour elle toute seule, et ils étaient ivres.

– Deux hétéros qui s’enlacent sur la plage, on va les choquer, observa Alice en s’affalant à côté de lui au bord de l’eau.

– Bah !… Ils ont l’esprit ouvert, dans le coin, répliqua Paul.

Il posa la tête d’Alice sur sa poitrine, la serra contre lui, et ils s’endormirent.

  

Quand Paul rouvrit les yeux, le soleil n’était pas encore levé, mais il éclairait déjà la surface de la mer. Pendant quelques secondes, il se demanda où il était et comment il était arrivé là. Puis il prit conscience qu’Alice était là, contre lui.

Elle dut le sentir bouger, car elle ouvrit les yeux. Il adorait la regarder à son réveil. Il lui semblait surprendre un instant secret en la voyant passer de son monde intérieur au monde réel. Il avait l’impression de la connaître chaque fois un peu mieux. Il aima la trace de bave qu’elle avait laissée sur sa clavicule.

– On est demain ? murmura-t-elle. Oui.

Il se sentit à la fois courbatu et détendu quand ils s’étirèrent et se levèrent pour reprendre leur marche vers l’ouest, vers la maison. Il lui prit la main. Ils n’avaient nulle part où se rendre, rien à faire, personne qui les attendait. Le sable s’étendait sur des kilomètres devant eux, mais le vide qui hier avait des relents de solitude avait pris un nouveau goût.

C’était la même plage, la même mer, le même soleil. Les mêmes vêtements. La même fille qui marchait à côté de lui. Et pourtant, tout semblait différent.